Les alignements

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Extrait de "La préhistoire du Morbihan" de Yannick Rollando - Société Polymathique.

II y a lieu de distinguer dans ces monuments, les champs d'alignements formés de plusieurs files partant le plus souvent de la corde d'un hémicycle et les alignements simples constitués d'une seule file.

A) Les Champs d'alignements.

De réputation mondiale, les alignements de Carnac se déroulent sur près de 4 kilomètres depuis le hameau du Menée au Nord-Ouest de Carnac jusqu'au Menée Vihan au Nord-Est de Kerlescan. Ils comptent encore 2 934 menhirs. On pense qu'ils s'étendaient autrefois des alignements de Sainte-Barbe en Piouharnel jusqu'à la rivière de Crach, soit sur une distance de plus de 8 km. En effet, des vestiges d'alignements, constitués le plus souvent de menhirs couchés, ont été trouvés entre Sainte-Barbe et le Mené au Nord de Kerbachiche-Kerdref et, à l'extrémité orientale, au Nord de la propriété du Lac. Les mieux conservés de ces alignements, qui ont d'ailleurs fait l'objet de plusieurs restaurations, sont les trois champs du Menée, de Kermario et de Kerlescan.

1 ) Le Menée. - Ces alignements, dont il subsiste 1 169 menhirs, débutent à l'Ouest par un vaste cromlech de 70 pierres, légèrement décalé vers le Sud. Il s'en échappe, sur 11 files, 1 099 blocs de 4 à 0,60 m de haut, sur une largeur moyenne de 100 m pour une longueur de 1 167 m. La direction générale du monument fait avec le nord géographique un angle moyen de 68°, oscillant entre 61 à 75 ° tout au long de l'alignement. Des blocs isolés terminent ce groupe, tandis qu'au Nord et au Sud courent parallèlement à l'ensemble quelques lignes de menhirs couchés.

Après 340 m d'interruption, la route mène à Kermario. 

2) Kermario. - Ici, le cromlech a disparu, seul monte la garde au Sud, un dolmen à galerie dépouillé de son tumulus. Dix lignes de 1 029 menhirs ondulent sur 100 m de large et 1 120 m de long. Le plus grand menhir couché mesure 6,40 m, le plus petit debout, 0,50. L'orientation générale reste de 61° dans les premiers 30 m puis s'abaissent à 57° sans subir de variation notable jusqu'à la fin du groupe.

Au Nord, quelques menhirs couchés flanquent l'ensemble. Au Sud de la ferme de la Petite Métairie, 3 menhirs debout ébauchent un mouvement Nord-Sud.

A l'extrémité du champ, quelques files s'avancent sur le tertre allongé du Manio dont le grand menhir indicateur de 4 m s'oppose perpendiculairement à la progression des files. Cette orientation montre que la construction des alignements de Kermario est postérieure à celle du tertre.

393 m nous séparent ensuite de Kerlescan.

3) Kerlescan. - A nouveau apparaît à l'Ouest, le cromlech mi-circulaire. Celui-ci voisine avec le menhir indicateur d'un tertre allongé. Ce dernier recouvre une enceinte où s'enchâssent trois petits menhirs au Sud et un au Nord qui paraissent prolonger deux des files les plus septentrionales des alignements. Ceux-ci comptent 594 menhirs de 4 m à 0,80 de haut dont 39 dans l'hémicycle et 555 en 13 files sur 880 m de long et 139 m de large. Orienté d'abord à 95°, l'axe du monument s'infléchit en ses prolongements à 66, puis à 36 ° à partir du Menée Vihan (Petit Menée) : ce qui laisse supposer une construction en plusieurs phases.

Au Nord, près de la tête de Kerlescan, se déroule un grand cromlech de quelque 43 menhirs debout. Du même côté, se tapit, aujourd'hui mutilée, une allée couverte à enceinte rectangulaire ou péristalithe.

4) Kerzerho. - Décapité par la route nationale, un groupe important a survécu, au Sud d'Erdeven, les alignements de Kerzerho. Il a conservé ses 1 129 menhirs en 10 lignes de 2 105 m de long sur 64 de large. A l'Ouest de la route, dans le petit groupe de tête, un menhir porte des cupules. A l'Est, une ligne de 23 monolithes, dont 2 dépassent 6 m, s'avance perpendiculairement à l'alignement. Celui-ci s'oriente à 60° jusqu'au Mané Bras où il oblique à 114°. A cet endroit apparaissent quelques beaux dolmens et un vestige d'enceinte carrée. A la fin des alignements, les files se confondent.

5) Sainte-Barbe et Saint-Pierre-Quiberon. - Au Nord-Ouest de Plouharnel, Sainte-Barbe aligne quelque 50 menhirs presque tous couchés ou enfouis dans les sables. Ils sont précédés à l'Ouest d'un cromlech. Des alignements de Saint-Pierre-Quiberon, il subsiste un cromlech de 25 menhirs et 25 pierres disposées en 5 lignes dont l'extrémité orientale descend sous les flots. Ici, comme à Sainte-Barbe, l'orientation est de 114°.

6) Autres champs. - Citons encore quelques enfants perdus : petits alignements aux menhirs le plus souvent couchés dans les landes de Kerjann au Nord du Menée, de Nignol, de Keriaval, de Coet à Tous, du Hanhon.

B) Les alignements simples.

On connaît les alignements formés d'une seule file; en Carnac, à Kerdref, dont un menhir mesure 5 m, à Crifol, au Nord-Ouest du Clud er Yer près des tombelles, au Hanhon, à Men Fleurit, au Lac; près de la gare de Plouharnel ; à Kerascouet en Erdeven ; à Saint-Cado en Plœmel.

A quelques exceptions près, on constate que, dans les alignements, les menhirs sont de hauteur décroissante à mesure que l'on s'éloigne de leurs chefs de file

Age des alignements. 

Comme le cromlech d'Er Lannik, on a vu qu'une partie des alignements de Saint-Pierre-Quiberon se prolongeait sous la mer. Au Manio, les files de Kermario s'avéraient postérieures à un tertre daté du début du Néolithique. Par contre, à Kerlescan, au tertre du Mané Pochât er Yeu, elles ont paru à certains d'un âge antérieur. Les fouilles pratiquées au pied des menhirs de Kermario n'ont ramené cependant que des éclats de silex et des poteries semblables à celles des dolmens. Plus tard, au Hallstatt (station éponyme autrichienne du Premier Age du Fer), les Champs d'Urnes (Civilisation pré celtique qui plaçait les cendres de ses morts dans des urnes groupées parfois en cimetières, d'où leur nom de Champs d'Urnes (en allemand Urnenfelderkultur). Du Bronze Récent au Premier Age du Fer, elle s'étendit d'Europe orientale en Espagne) y déposeront leurs vases cinéraires ou y abandonneront quelques fibules. Par la suite, les Gallo-Romains bouleverseront la tête sud de Kermario pour y édifier un « Camp de César », ici entassant, là parsemant de débris d'amphores, d'imbricès ou de tegulse.

Destination des alignements.

a) Les traditions. - La toponymie nous a transmis le nom de Carnac où le linguiste voit la racine préindoeuropéenne cara, pierre, affublée du suffixe gaulois acos. La langue bretonne connaît le Menée, l'endroit des Pierres, qu'elle précise en Kermario (village des morts), puis en Kerlosquet (village brûlé) ; allusion non douteuse aux amas de cendre et de charbon découverts au pied des menhirs.

On connaît, d'autre part, la légende que le chœur des enfants psalmodie pour le visiteur : saint Cornélie, pape, poursuivi par les soldats les changea en pierres. Il devint par la suite le protecteur des bovins. De fait, des chapelles dédiées à saint Cornélie s'élèvent près des alignements de Carnac, Erdeven, Plouhinec, Languidic. Ont-elles remplacé un vieux culte agraire d'origine néolithique ? En tout cas, au tumulus de Saint-Michel, des coffres contenaient des ossements de bœufs, au Bosséno, une villa gallo-romaine avait livré une statuette de bovidé.

b) Les faits archéologiques. - A Kermario, comme à Er Lannik, on a mis à jour au pied des menhirs quelques foyers, le plus souvent des cendres, des charbons, des éclats de silex, des fragments de poterie. Ces découvertes induisent à penser que les alignements étaient des monuments religieux où l'on s'assemblait pour célébrer des cérémonies. En raison de leur étendue, un concours de peuple important y venait commémorer des fêtes à la date de l'année indiquée par l'orientation du monument. Les directions de nos grands ensembles mégalithiques ne sont pas en effet quelconques. Kermario est orienté sur le lever solaire au solstice d'été, soit sur l'azimut de 54° le 21 juin. Keriescan jalonne sensiblement la ligne équinoxiale. Les levers intermédiaires d'été, 66° le 6 mai et le 8 août, nous sont donnés par le Menée, les levers intermédiaires d'hiver, 114° le 8 novembre et le 4 janvier, par Sainte-Barbe et Saint-Pierre-Quiberon. Or, sous un climat comme le nôtre, les dates des levers intermédiaires sont celles qui jalonnent précisément les principales périodes de l'année agricole. Novembre est 'e temps des semailles qui germent en février, en mai commence la floraison, aux premiers jours d'août s'épanouit la moisson.

Uni au rituel animal, ce caractère naturiste confirme l'importance des cultes agraires chez les agriculteurs néolithiques. Par la suite, l'étude des gravures dolméniques fera sortir de l'ombre la grande divinité maîtresse de la mort et de la vie qui préside à ces festivités. Mais, dès maintenant, se précise à nos yeux l'importance religieuse de cette frange côtière vannetaise dont la ferveur « voulait partout revêtir la robe blanche... » des menhirs et des dolmens. (Raoul Glaber, chroniqueur du Moyen-Age (XIe)).