Production

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«La naissance et la vie de l'huître, cette vie pleine de drames lilliputiens, ces amours étranges autant que celles, des abeilles, quel roman, dont le cinéma nous montrera un jour les phases !» (2).

Les huîtres mères se trouvent sur les bancs naturels dans les chenaux d'Auray, de la Trinité-sur-Mer et sur les parcs. Huîtres mères ! Il y a deux sexes, mais alternant chez le même sujet. Une huître peut être mâle au début de la saison et femelle à la fin. Elle peut produire des œufs et des spermatozoïdes, mais ils ne sont jamais à maturité en même temps, si bien que l'autofécondation n'a pas lieu, normalement. L'huître femelle pond des œufs qu'elle conserve dans un repli de son manteau où ils sont fécondés.

De mai à août, les fameux mois sans R, les huîtres mères deviennent «laiteuses», puis «ardoisées». Elles sont remplies de larves : embryons de coquilles à deux valves semblables de 2/10e de millimètre de diamètre.

La température de l'eau monte : 15 à 22°. Un brusque mouvement du manteau et voilà les larves à l'eau : leur longueur varie de 0,17 mm à 0,27 mm environ.

Elles nagent à l'aide de cils vibratiles, perdues dans le plancton, entraînées au gré des courants et de la densité de l'eau. Nomades pendant 15 à 20 jours (Locard dit 48 heures), elles évoluent et atteignent, au terme de leur vie «planctonique» ou «pélagique», 3/10e de millimètre de diamètre.

La couronne ciliaire s'atrophie, la larve s'alourdit. Elle perd sa mobilité. Il lui faut se fixer sous peine de tomber sur le fond et d'être la proie d'un animal quelconque. C'est une question de vie ou de mort. La nature l'a dotée d'une glande qui secrète un byssus qui la collera.

TOUTE LA «PRODUCTION OSTRÉICOLE» EST BASÉE SUR CETTE OBLIGATION OU EST LA LARVE DE SE FIXER ET DE SE FIXER AU MOMENT OPPORTUN. Toute la technique consiste à fournir un support adéquat, propre et bien placé, un «collecteur» comme on dit.

Sur un million d'œufs éclos par huître, quelques dizaines seulement se fixeront, ce seront les «naissains». Le reste sera le jouet des prédateurs, ou de la température.

On peut dire que la plupart des animaux se nourrissant de plancton absorbent des larves d'huîtres, non seulement les animaux voraces et libres (crustacés, larves de crustacés, vers, larves de vers, larves de mollusques, etc..., etc...) et les poissons, mais encore les animaux fixés, tels que les actinies ou anémones de mer (ce qui a été constaté en aquarium par R. Horst en 1883) et les huîtres adultes elles-mêmes.

Le terme de «production» est en fait inexact. Il s'agit plutôt de CAPTAGE (3), de sauvetage. L'ostréiculteur ne cherche pas à augmenter la natalité, mais à aider les larves encore voyageuses, à se fixer.

Le collecteur utilisé de nos jours dans le Morbihan est la tuile faîtière.

Petits terres-pleins de 100 mètres carrés du Bono, de la Trinité et de Saint-Philibert : ou bien esplanade immense qu'inonde le soleil, sans ombre aucune. Petite cabane de bois orientable suivant les vents ou «magasins» de pierres aux larges baies lumineuses : tous les chantiers de naissains, au mois de mai, s'animent à nouveau.

Comme les tuiles servent d'une année à l'autre, il faut commencer par enlever l'enduit de l'année précédente en raclant la tuile avec une sorte de couteau large. C'est le «GRATTAGE». On sort les tuiles du «rond» ou du «carré» où elles sont en tas et: les femmes, assises sur un petit banc, le mouchoir rayé noué sur la tête, grattent, grattent : elles sont payées au mille. Pour en faire un dans la journée, il ne faut pas perdre de temps.

Puis c'est «L'ENFILAGE». Les tuiles sont percées d'un trou à chaque extrémité. Le fil de fer (n° 12 galvanisé bien entendu) a été coupé d'avance à la longueur voulue. On en prend 2 morceaux auxquels on donne la forme d'un U. On y enfile deux tuiles placées parallèlement, puis deux autres perpendiculaires aux précédentes et ainsi de suite jusqu'à douze. On tord les fils de fer. On réunit les deux branches en une sorte d'anse. C'est un «bouquet». L'enfilage n'est plus payé au cent de bouquets.

Les bouquets sont mis en tas pour sécher.

Il est très important que les tuiles soient bien sèches. Autrement, le chaux ne prendrait pas. Les tuiles seraient «caillées» ou même «vertes» et ne ramasseraient pas de naissain ou n'en prendraient que sur un côté.

Lorsque toutes les tuiles ont été grattées, on attend une période de beau temps pour chauler. Le lait de chaux est préparé dans une cuve avec de l'eau de mer (40 kilos de chaux éteinte pour 100 litres d'eau). Plus la tuile est spongieuse, plus elle prend de chaux et plus elle capte de naissain. On compte 90 kilos de chaux pour 1.000 tuiles.

Les ouvriers amènent les bouquets à la cuve de chaux, ils les y plongent, les déposent sur un égouttoir, les mettent au séchage pendant 4 à 6 jours au minimum. Quand les tuiles sont neuves, on doit les passer dans la chaux deux fois. On renouvelle environ 5 à 10 % de tuiles chaque année. Les morceaux cassés sont enfilés eux aussi et chaulés.

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II y a deux procédés pour disposer les bouquets sur les parcs. Si le sol est dur et haut, on emploie des «gabarits», sortes de cadres en bois sur lesquels on entasse les tuiles. Si le sol est mou et bas, on met des piquets. Le piquet de châtaignier est pointu à une extrémité et entaillé à l'autre pour recevoir l'anse de fil de fer. On met le bouquet sur champ et on enfile le piquet.

Les ostréiculteurs observent la température de l'eau. Ils ouvrent des huîtres pour voir si elles sont «ardoisées». Si les huîtres sont ardoisées et maigres, c'est qu'il y a déjà eu des émissions. Ils consultent l'office scientifique des pêches d'Auray. Dès que la température de l'eau se maintient à 18°, 20°, et si les larves sont nombreuses c'est le moment de «placer».

Une fièvre anime tous les chantiers, les chalands sont chargés de tuiles et amenés en bordure du chenal sur le parc. A la basse mer, «les bouquets blancs comme de grandes fleurs minérales passent de main en main pour être piquées» dans le sol.

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En juin et juillet, les malines sont petites. Un chantier pose en moyenne 20.000 tuiles par marée. Ceux qui peuvent placer en morte eau également comptent 12 jours plus les dimanches pour 115.000 tuiles. Un chaland de 12 à 14 tonnes porte en général 600 bouquets avec piquets et 800 pour gabarit.

«Alors, au flot montant, le petit naissain, qui flottait, s'arrête sur la chaux fraîche. De son million de frères livrés à la jungle salée, il n'en reste déjà que 5 ou 6.» (4).

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Dans les rivières d'Auray et de la Trinité; on pose bon an mal douze millions de tuiles.

Le Bono..........         1.500.000.

Larmor-Baden ....     2.000.000.

Golfe ............             50.000.

Locmariaquer.....       3.000.000.

La Trinité........            5.400.000.

Les FIXATIONS se produisent, en général, de la Saint Jean (24 juin) à l'Assomption (15 août) avec un maximum dans les étés chauds et calmes au début de juillet. A la Saint-Jean se tient une «assemblée» à la chapelle de Crach, près du Lac. C’est en somme l'assemblée du naissain.

Il est parfois, très difficile de trouver le moment propice. Ainsi en 1934, «en rivière de la Trinité», une faible émission se manifesta vers la mi-juin pour cesser brusquement le 25. Depuis cette date jusqu'au 10 juillet, il fut impossible, malgré le nombre de prélèvements effectués journellement, de trouver une seule larve. Le plancton examiné au microscope se révélait complètement stérile et ne contenait ni larve, ni diatomée, ni organe vivant.

La densité de l'eau monta vers le 5 juillet de 1021 à 1023 ; à l'examen microscopique, le plancton se révéla plus riche ; la température de l'eau monta également de 22° à 25° et, le 10 juillet, l'émission commença abondamment pour atteindre son maximum le 23 juillet. Elle ne dura que 14 jours. (5).

La même année, le rythme des émissions était normal en rivière d'Auray.

Si on place trop tôt, la tuile se salit et n'est plus apte à recevoir le naissain.

On pense que les émissions ont lieu surtout au flot. Certaines constatations de naissains plus abondants du côté où vient le flot semblent confirmer cette idée.

Lorsqu'il se dépose sur la tuile, le naissain est seulement visible à la loupe. Au bout de trois ou quatre semaines il est gros comme une tête d'épingle. Ce sont des semences d'or qu'on vient compter avidement. A chaque marée le parqueur va retourner ses bouquets, les consulter ; compter les naissains. Mais de la fixation au détroquage il y a beaucoup de pertes possibles : parasites qui se collent sur les tuiles et étouffent le naissain (pissoués, luisettes, gravants) ; piqûres de crevettes, pinces de crabes, suçoirs d'astéries ; il y a aussi les maladies des bébés d'huîtres que nous ne connaissons pas beaucoup, les intempéries, le froid, l'eau douée excessive. On peut compter sur une perte de 8/10e environ.

Le personnel est licencié. Il n'y a rien d'autre à faire que de mettre les embarcations en état ; reviser les bouquets que la tempête ou la quille de quelque bateau auraient pu bousculer.

Les mois d'hiver passent. A Carnac et La Trinité, on commence le relevage dès décembre ; en fin février, ailleurs. On décharge près du chantier les bouquets et on les nettoie avec le «motopompe» ou la «sloupette» : un jet dessus, on retourne le bouquet, un jet dessous. On monte les tuiles dans le magasin, on coupe les fils de fer et on commence le décollage appelé « DÉTROQUAGE ».

Détroquer consiste à passer entre le naissain et la tuile, dans l'enduit de chaux, une lame de couteau mince et, à décoller le naissain sans le blesser.

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Le support de chaux est le TALON de l'huître. C'est sa marque de fabrique qui la distingue de l'huître naturelle. Il y a différentes tables à détroquer, mais le principe est le même. La tuile est posée dans une sorte de gouttière formée de deux planches en V. Le naissain tombe dans la rigole qui comporte une ouverture, on le pousse avec un balai de genêt et il est recueilli dans un panier. L'ouvrière travaille assise sur un tabouret, place derrière elle les tuiles détroquées.

En fin de journée on met toutes les tuiles en tas sur le terre-plein.

Pour détroquer 50.000 tuiles, il faut en moyenne 113 journées de travail.

On crible à ce moment le naissain dans des sortes de tamis et celui qui n'a pas la dimension requise : 8 à 10 mm minimum s'appelle «CRIBLURE».

On lave le naissain pour le débarrasser des particules de chaux et on le met dans une caisse ostréicole. C'est un cadre de bois de 2 m de longueur sur 0 m 80 de large. Le dessous est une toile métallique fine et le couvercle, un cadre avec une toile métallique également fine. Les caisses sont déposées dans le réservoir sur des cailloux pour ne pas toucher la vase. Certaines ont quatre pieds de 0 m 30 de haut. Il faudra visiter les caisses de temps à autre, laver le naissain, le dédoubler si, du fait de la pousse, il devient trop «épais». Il en va en général 1.000 à 2.000 au kilo (celui de la Trinité est généralement plus petit que celui de la rivière d'Auray). Une bonne moyenne est le «1.500 au kilo».

Les pertes entre la fixation et le décollage seraient de 55 à 70 %. «II est probable, observait M. Thieblemont en 1926, que le chiffre de 63 % doit être une constante qui correspond à des recherches faites en 1875 par un ostréiculteur anonyme de la Trinité qui ôtait un déchet moyen de 5/6e.»

Ce manuscrit de 1875 donne les chiffres suivants :

Naissain de 10 jours.... 500 à 600 par tuile.

de 1 mois...... 200 à 400

de 3 mois...... 200 à 300

de 6 mois...... 100 à 300

de 9 mois...... 80 à 250

Si on décompose toutes les manipulations qu'ont subies les tuiles depuis le grattage jusqu'au détroquage, on en trouve au moins dix-huit. Et cela représente un tonnage imposant porté à bras. Un simple petit calcul :

Une tuile pèse en moyenne 900 grammes. Il faut 5 kilos de fil de fer galvanisé n° 12 ou 6 kilos de fil de fer noir n° 13 par mille et 8 tonnes de chaux pour 100.000, soit 8 kilos par cent.

Cela représente donc pour cent mille tuiles :

90 tonnes + 8 tonnes de chaux + 600 kilos de fil de fer = 98 tonnes 600.

98,600 multiplié par 18 == 1.775 tonnes remuées à bras.

Qu'il y ait du naissain ou qu'il n'y en ait pas !

Le détroquage se poursuit jusqu'en mai et début de juin.